Contexte- Au mois de novembre 1974, l’Assemblée des évêques français réunie à Lourdes prépare une Note sur l’avortement. A l’approche d’une délibération au Parlement sur la modification de la législation concernant l’interruption volontaire de grossesse, le débat public en France soulève les passions. De nombreux milieux catholiques attendent des évêques qu’ils réitèrent une condamnation ferme et sans équivoque de tout avortement provoqué. Au cours du débat sur le projet de texte proposé au vote de l’Assemblée épiscopale, le père Riobé demande la parole :

A propos de l’avortement

Intervention à l’assemblée des évêques à Lourdes

Je retrouve avec étonnement, dans le texte qu’on propose à notre vote, l’essentiel du passage que l’un de nous, me semble-t-il, avait souhaité voir supprimé, même si ce passage est extrait d’un document ancien de l’épiscopat. Le climat, les mentalités évoluent vite aujourd’hui.

Je relis ce passage : « Tout avortement provoqué implique un échec, un mal et un malheur, c’est une œuvre de mort. C’est l’injuste arrêt d’une destinée humaine. Il en est ainsi même dans les cas les plus douloureux et les plus bouleversants. »

Je m’interroge : au nom de qui évêque de Jésus-Christ, serviteur de mes frères aurais-je le droit de porter une telle condamnation ?

Au nom de qui ai-je le droit d’accuser « d’œuvre de mort » ceux qui, pour des « raisons de vie », et qui relèvent de la seule conscience, ont dû ou devront recourir à un acte déjà si grave, si traumatisant pour un couple, et surtout pour une femme ?

Non, la vie de ceux qui ont pratiqué l’avortement n’est pas fatalement un échec. Il arrive que des hommes et des femmes qui s’aiment, et dont nous ne pouvons mettre en doute la foi et la charité, se résignent, comme un ultime recours pour sauver la vie de leur  foyer, à un avortement, dans une heure d’immense, de dramatique détresse.

Quel traumatisme notre condamnation risque de provoquer une nouvelle fois dans le cœur et la conscience, la foi aussi, de foyers chrétiens, pour qui l’avortement a déjà été et demeure une profonde blessure ?

Ces chrétiens, voila que nous semblons les excommunier comme des juges détenteurs de la Vérité, alors qu’ils attendent de nous une parole d’accueil, de compréhension, d’amour, surtout en un temps où l’on n’a jamais parlé autant de communion.

A la sortie du cauchemar vécu par des femmes chrétiennes qui se font avorter, c’est Dieu qu’elles attendent, et non une impitoyable condamnation.

Je pense aussi à tous ces jeunes qui rejettent « l’Institution Eglise » parce qu’ils n’y trouvent, disent-ils, que légalisme, juridisme, au lieu d’en recevoir un message d’amour et de vie.

Ne risquons nous pas, une fois encore, de les rejeter, en réaffirmant avec tant de dureté des principes certes intangibles, mais si étrangers aux réalités humaines, qui leur imposent souvent, dans leur chair et dans leur cœur, une solitude désespérée.

Nous ne pouvons pas publier, tel quel, ce passage de la note. Oui, il faut dire une parole de  Vérité, mais qui soit en même temps une parole d’Amour.

Oui, il faut le rappeler sans ambiguïté un droit sacré et imprescriptible, mais en nous interdisant d’accumuler, dans le cœur de nos frères, et de ceux-là surtout qui connaissent « les cas les plus cruels et les plus bouleversants » des condamnations que véhiculent nos expressions « œuvre de mort, échec, mal malheur, injuste arrêt d’une destinée humaine ».

Nous sommes très sensibles à la dimension politique de l’acte pastoral que nous posons. Nous ne saurions l’être moins à sa dimension évangélique ?

13 novembre 1974