Ce serait s’exposer à ne rien comprendre que de se limiter aux faits extérieurs, aux fonctions officielles et aux interventions publiques. Les démarches et le développement de la vie intérieure sont à la racine, mais on ne peut encore les évoquer qu’avec discrétion. Entre deux villes, Angers et Orléans, s’articule principalement cette existence, mais peu à peu tout se met à bouger autour de cet axe tranquille « A cause de Jésus et de l’Evangile ».

Guy Riobé est né en 1911 à Rennes dans une famille nombreuse. Il est le second de six garçons.

1-Enfants-Riobé.jpg

Famille de l’ouest, traditionaliste ; bourgeoise ; son père est ingénieur. « La musique -écrit-il- a évité à ma famille d’être trop « bourgeoise » au mauvais sens du terme. ( … ) Nous jouions tous d’un instrument : pour moi, c’est le violoncelle. » Il a treize ans quand sa famille s’installe à Angers. Ses études se déroulent, bien entendu, dans l’enseignement libre. Sur sa vocation, il écrit très lucidement : « Malgré tout ce qu’on peut dire du climat affectif et psychologique de cette vocation, j’ai le sentiment que, au-delà de tous ces conditionnements, il y eut un véritable appel, et une réponse donnée très librement à Celui qui m’appelait. » Il connaît le « moule solide » du séminaire et y est heureux ; d’ailleurs, le souffle du renouveau avec la JOC et les autres mouvements commence là aussi à pénétrer.

Il est ordonné prêtre en 1935, et bientôt vicaire Saint Florent-le-Vieil, sur le bord de la Loire (au presbytère se trouve un « musée vendéen … »). Ce n’est pas seulement le « ministère » traditionnel qui l’occupe : il devient aumônier de la JAC. En ces années 30, beaucoup de ce qui s’épanouit plus tard est déjà en germe : une foi vivante, la prise en charge du « milieu ».

 Mobilisé en septembre 1939, il est infirmier militaire dans l’Est.

5- infirmier hôpital de Beguin« La tristesse de l’exode, la honte de la fuite ». Le 1er août, il regagne Angers. Mieux vaut ici citer Guy-Marie Riobé : « Vinrent alors les quatre années de l’occupation. Je ne les évoque jamais sans quelque remords. Bien sûr, les bombardements, les hésitations des jeunes qui devaient partir en Allemagne pour le Service du travail obligatoire me bouleversaient mais je ne me posais pas de question. J’étais d’ailleurs plutôt pétainiste : l’ordre, la religion, les consignes de mon évêque m’y poussaient. Je continuais mon travail : prédication, retraites … ».Étrangement, ce prédicateur de retraites va recevoir en 1945, au cours d’une retraite de trente jours prêchée par un jésuite, le père Monier, le choc d’une libération :« C’est là, je crois, que je suis devenu chrétien : j’ai saisi que la foi chrétienne, c’est Quelqu’un : c’est Jésus-Christ. »

Combien de fois avait-il prêché en ces termes ? Une chose est de dire, autre chose est de s’ouvrir à ce que l’on entend. Il n’y a pas de conviction si définitive qu’elle n’appelle une conversion. L’étape suivante est celle où Mgr Chappoulie, devenu évêque d’Angers en 1949 ouvre les horizons de son vicaire général. Un grand évêque qui mourra dix ans plus tard dans un accident.

En 1955, Guy Riobé accepte la responsabilité des Fraternités sacerdotales de Charles de Foucauld. Des prêtres des clergés autochtones d’Afrique et d’Amérique latine en quête d’une spiritualité évangélique rejoignent ces Fraternités : « C’est probablement de tous ces contacts que datent ma passion pour le tiers monde et une certaine attention à la vie des prêtres. »Encore cette phrase : « Et les pauvres m’évangélisaient ».

C’est en août 1961 que Guy Riobé est nommé évêque coadjuteur d’Orléans, puis évêque titulaire en mai 1963.

8- sacre épiscopal avec son papa Il est maintenant le « chef » d’un diocèse, détenteur de l’autorité, soucieux de bonne administration, mais au-delà témoin de Jésus-Christ. D’Orléans avec l’église locale, l’horizon s’ouvre sur Rome et l’Eglise universelle : le concile débute le 11 octobre 1962. Nous en arrivons à des événements qui sont encore dans les mémoires et qui ont donné lieu à des déclarations publiques.

 Mai 1968 : l’évêque d’Orléans rencontre étudiants, élèves, professeurs, doyens et recteurs, avec discrétion, mais avec un grand esprit d’ouverture. Dès lors, les événements se précipitent. Le 1er septembre 1968, par un texte paru dans la Vie diocésaine Guy-Marie Riobé réagit à l’encyclique Humanae Vitae. Il écrit notamment : « La publication d’une encyclique ne saurait modifier comme par enchantement les problèmes vitaux qui semblent s’opposer, trait pour trait, à ses vues. » La contestation des prêtres se manifeste dans son diocèse, et le trouve ferme … et écartelé ; vis-à-vis de ceux qui quitteront le ministère, de ceux qui se marieront, il demeure proche et se laisse interpeller par le problème dans son ensemble. Et puis, en janvier 1969, au tribunal correctionnel d’Orléans, a lieu « le procès des objecteurs de conscience » qui met Guy-Marie Riobé sous le feu des projecteurs : il décide de témoigner en faveur de Jean Desbois, Jean-Marie Muller et Jean-Pierre Perrin, qui avaient renvoyé leur livret militaire. Tout serait à citer de ce témoignage. Limitons nous à la conclusion : « Si ceux qui sont aujourd’hui coupables, devant la loi, d’un acte de désobéissance qu’on ne saurait approuver comme tel, savent rester, devant Dieu, fidèles dans toute leur vie, aux valeurs spirituelles qui ont motivé cet acte, je suis persuadé qu’ils collaborent en profondeur, ne serait-ce que par l’interrogation qu’ils nous posent, au bien commun de l’humanité et de la France elle-même. »

Mentionnons encore l’approfondissement des relations fraternelles avec les communautés de l’Eglise réformée et l’ouverture en 1969 du Centre œcuménique à Orléans La Source.

Évoquons enfin cette « rumeur d’Orléans » qui, en quelques jours, la semaine de la Pentecôte 1969, s’enfle et atteint presque, un jour de marché, le niveau de folie qui caractérise le pogrom. Que faire devant une rumeur : se taire pour ne pas lui donner de consistance, ou bien parler pour la faire taire ? L’évêque d’Orléans, comme les autres dirigeants de la ville, a connu ce dilemme. Il a été sensible à la prudence, mais quand il s’est exprimé, son texte « Pour nos frères juifs » a été juste et fort : « J’ai bien conscience de ce que l’Eglise, dans le passé ( … ) a souvent créé, par son enseignement, une fausse image du peuple juif et de sa situation dans le plan de Dieu. »Dès lors, le père Riobé se sent évêque non seulement pour l’Eglise d’Orléans, pour l’Eglise en France, mais, à son niveau de responsabilité, pour l’Eglise Universelle et, au• delà d’elle, pour l’humanité tout entière.

En mai 1970, Dom Helder Camara donne une conférence à Orléans : « Action pour la justice et la paix ». On apprend plus tard que la France a vendu des avions Mirage au Brésil. La communauté non-violente d’Orléans organise un jeûne et le Père Riobé publie une lettre de soutien à ce jeûne. Plus tard, en juillet 1973, à l’occasion d’une action non-violente menée dans la zone de Mururoa par un bateau protestataire, Guy-Marie Riobé publie le texte Non aux armes nucléaires. L’amiral de Joybert lui répond à la télévision par cette apostrophe :« Halte-là ! Messieurs de la prêtrise ! Voulez-vous, s’il vous plaît, vous mêler de vos oignons. » C’est bien là toute la question : quels sont les « oignons » d’un évêque ?

 N’est-ce pas aussi de réfléchir au « ministère presbytéral » et à tout ce qui pose question dans l’Eglise de tous les temps et de maintenant : la discipline latine du célibat des•prêtres, aussi bien dans nos pays occidentaux que dans les pays d’Afrique et d’Amérique latine que connaissait le père Riobé ? Son intervention devant l’Assemblée des évêques à Lourdes ne rencontre pas d’écho ; c’est pourquoi il se décida à en publier le texte dans Le Monde, le 11 novembre 1972. Ces audaces ont été douloureuses pour le père Riobé. Il a offert sa démission au pape Paul VI qui la refusa.Tout serait encore à dire. Mais il faut conclure. La conclusion d’une destinée.

Du 3 au 9 juillet 1978, il est à Lourdes avec le pèlerinage d’Orléans,

20-A Lourdes

et termine ainsi sa dernière homélie : « Rien n’est impossible à Dieu car il nous aime. Dieu est amour ! »Il accepte de prendre quelques jours de repos au bord de la Méditerranée, au Grau-du-Roi, dans un appartement prêté par des amis.

Le mardi 18 juillet, il descendit à la mer « à l’heure où les estivants fuient la plage. » Son corps fut retrouvé le soir même, vers 20 h 30 à environ 50 mètres du rivage …