Contexte- Le père Riobé a écrit ce témoignage pour le numéro de la revue Carmel intitulé Prier dans la ville (1977, 4).

Il m'arrive parfois d'errer dans la ville, de parcourir les rues de la cité. Il est souvent tard le soir, lorsque je reviens d'une réunion, ou après une visite à des malades, ou encore quand j'ai partagé la table d'un foyer ami.

Je regarde la ville du haut d'un huitième étage, ou dans les allées et venues d'un quartier populeux où se mêlent, anonymes, Portugais, Espagnols, Turcs, Arabes et Yougoslaves.

Je laisse retentir dans ma conscience – ce creuset où la foi devient vie, où l'espérance mûrit, où la charité se réalise -les hantises et les ferveurs de tout un peuple.

Hantises qui me bousculent : tant de bouleversements quotidiens où meurent les structures d'une société, d'une mentalité … jusqu'aux violences qui mutilent et aliènent les hommes comme l'expression la plus scandaleuse de ce que nous appelons le péché du monde.

Les tout premiers évêques portaient le titre de «défenseurs de la cité». Le combat n'est plus le même. Je n'ai pas à défendre une civilisation, mais je sais que mon rôle est d'inciter les chrétiens, dans la fidélité de l'Evangile, à se montrer attentifs et inventifs pour découvrir les formes nouvelles de la société de demain.

C'est alors que je m'efforce de rejoindre le regard de Jésus sur l'existence des hommes, ce regard dont l'Evangile nous parle si souvent, quand «la ville entière se pressait devant sa porte» (Mc 1,33).

Je crois que le Christ est capable de rejoindre tous les hommes au plus profond d'eux-mêmes, parce qu'Il s'est fait semblable aux plus petits, aux plus pauvres, aux plus démunis d'entre eux. Jésus n'est pas en face de l'homme, et au-dessus de lui; Il est dedans.

Mais comment rendre Jésus-Christ nouveau pour les hommes? Etre évêque aujourd'hui, c'est être appelé à marcher vers Dieu dans l'itinéraire des hommes, à faire route avec tous ceux dont notre Eglise est parfois si loin, mais qui cherchent avec droiture.

Et les ferveurs de l'humanité prennent le pas sur les hantises. La crise actuelle libère beaucoup d'espérance active. Aujourd'hui, dans tous les secteurs de la vie sociale et politique, que de témoignages de vie évangélique, de foi vivante, à tous les âges de la vie, et particulièrement chez les jeunes!

Je crois que l'Esprit de Dieu est à l'œuvre dans les fermentations qui nous étonnent. Là où les hommes sont ensemble pour qu'il y ait un peu plus de justice et d'amour fraternel sur les chantiers du monde, le Christ se forme. Et là où le Christ se forme, là est l'Eglise!

Oui, au cœur de la ville, il y a Quelqu'un, c'est le Christ, une Personne. Et ce Quelqu'un, à travers le temps et l'espace, ne cesse de rencontrer des personnes vivantes, à la fois uniques et unies par les souffrances, les luttes et les créations de l'histoire.

Il est urgent que les exigences de l'Eglise, à la fois s'intériorisent en vie profonde et s'incarnent dans le service des hommes, dans l'invention de formes nouvelles de vie collective et de culture.

Dans un monde sécularisé si souvent dur et froid, nous avons besoin de petites flammes allumées un peu partout.

Souffrir dans la ville, espérer dans la ville, prier dans la ville: n'est-ce pas l'essentiel de ma mission d'évêque?

Que de fois, le cœur lourd de toutes les interrogations de mes frères avides de bonheur et de paix, pressé de dénoncer les impasses où l'on engage les hommes, tenté de baisser les bras devant tant de problèmes de logement, de communication, de salaire familial, de chômage des jeunes, d'accueil des émigrés, de solitude des vieil­lards, de souffrance des malades et des handicapés … que de fois, seul avec Jésus dans le petit oratoire qui rejoint mon bureau de travail, je me prends à murmurer, comme la Vierge à l'Annonciation: «Comment cela se fera-t-il?»

J'essaie alors de faire silence, et d'écouter, et d'adorer.

«Ne crains pas, l'Esprit Saint viendra!»

Oh! oui Seigneur,

Répands ton Esprit sur les maisons des hommes, sur la ville des hommes, sur le monde des hommes, sur tous les hommes de bonne volonté.

Envoie ton souffle sur tous ceux qui bâtissent l'avenir, sur ceux qui sauvegardent le bien, sur ceux qui préservent la vie, sur ceux qui créent de la beauté.

Il me semble ainsi conduire la ville, la ville tout entière, cette cité dont je suis le «défenseur», à cette Assomption universelle, quand le Christ «remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal» (l Co 15,23).

 

Ici et maintenant,

Sur nous, Seigneur,

Répands ton Esprit!