Contexte – Du 3 au 9 juillet 1978, le père Guy-Marie Riobé accompagne le pèlerinage du diocèse d’Orléans à Lourdes.

Homélie à Lourdes

Dernières paroles aux chrétiens de son diocèse.

En écoutant, une fois de plus, ce magnifique récit de l’Annonciation, je pensais que, pour chacun de nous, et pour vous surtout, sœurs et frères chrétiens que paralysent le grand âge, la maladie ou un grave handicap, notre pèlerinage à Lourdes est une Annonciation… l’annonce d’une bonne nouvelle, de la Bonne Nouvelle qu’est Jésus-Christ.

Oh ! sans doute, à première vue, je ne devrais pas oser parler de Bonne Nouvelle à ceux dont la vie est dure, ceux pour qui s’éternise le temps de l’épreuve et de la souffrance, quand un accident de santé imprévu, subit, stoppe des jeunes et des adultes en pleine activité, mettant en péril l’équilibre d’une vie familiale, professionnelle, et rendant impossible tout projet d’avenir.
Et pourtant, c’est bien à Lourdes, capitale de la souffrance, que Marie nous attend – pour nous dire que Jésus nous y attend. L’essentiel est d’être au rendez-vous. Car c’est là, au creux de la souffrance, que peut jaillir comme dans une Annonciation la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.

« Salut, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. »

Oui, nous le croyons, Jésus-Christ est capable de rejoindre tous les hommes au plus profond d’eux-mêmes parce qu’il s’est fait semblable aux plus petits, aux plus pauvres, aux plus démunis, aux plus souffrants d’entre nous.
Jésus n’est pas en face de l’homme. Jésus n’est pas au-dessus de l’homme. Il est dedans.
« Pris d’entre les hommes, nous dit la lettre aux Hébreux, étant lui-même enveloppé de faiblesse, dans les cris et les larmes, Il a appris par ses souffrances, ce que c’est qu’obéir (cf. He 5, 1-8) »… – ce que c’est qu’être soumis aux dures réalités de la condition humaine.

Dites-moi : quel est donc celui d’entre nous qui à un moment ou l’autre de sa vie n’a pas connu :
– la peur de la souffrance et de la mort ;
– la tentation du désespoir devant l’absurdité apparente des efforts entrepris ;
– la tristesse de l’isolement.
Tant de personnes âgées et tant d’handicapés dans les grands ensembles, tant de malades dans les hôpitaux, voire chez eux, crient leur solitude. On veut se maintenir en vie et en santé. On quête désespérément le sens de l’existence. On a un irrésistible besoin de tendresse, besoin d’aimer et d’être aimé.

Parce que le Christ a lui-même connu ces grandes souffrances de l’homme jusqu’au paroxysme de la croix, c’est dans ces espaces de vide, de lassitude, de désarroi, que résonne la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
Dieu n’explique pas la souffrance, il vient la partager.
Au calvaire, Jésus est seul, abandonné de tout son peuple, de ses apôtres, de ses amis les plus chers… jusqu’à son Père qui se tait : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Apparemment, il a manqué son œuvre : rassembler en un seul peuple les enfants de Dieu dispersés. Et il connaît la frayeur de la mort, dans les larmes et les cris de l’agonie : « Père, éloigne de moi cette heure… Et poussant un grand cri, il expira. »

Mais d’où vient donc alors que, dans le matin de Pâques, la Bonne Nouvelle court et se propage, soulevant les cœurs d’une folle espérance : « Il est ressuscité ! Il est vivant ! N’ayez plus peur ! »

Ah ! C’est que là où aucun espoir humain ne restait, Jésus a accepté l’inacceptable. Il a tout remis, tout abandonné entre les mains de son Père.

Et du même coup, tout reprenait vie, mais sur un autre plan, et dans un « au-delà » : sa mort ne reste pas la mort, elle n’a pas eu le dernier mot. Le non-sens apparent de sa vie a un sens : faire éperdument confiance à l’amour de son Père. Et sa solitude éclatera demain en multitude, en Eglise, dans la puissance de l’Esprit de Pentecôte.

Et désormais pour tous ceux qui croiront en Jésus ressuscité, qui vivent du même Esprit, et partagent avec foi sa confiance, son abandon de Fils, son abandon d’enfant entre les mains du Père – ni l’absurde, ni la solitude, ni la mort n’auront le dernier mot parce qu’ils ne l’ont pas eu en Jésus-Christ. Jésus-Christ, fils d’homme et fils de Dieu, nous offre sa victoire sur la souffrance et sur la mort et cette victoire s’enracine dans sa Parole, dans son cri sur la croix : « Père, je remets mon âme entre tes mains. »

Que de fois dans notre vie de tous les jours, le cœur lourd de toutes nos interrogations – ces multiples visages de l’absurdité, de la solitude, de la mort – que de fois, tentés de baisser les bras, nous nous prenons à murmurer : « Mon Dieu, pourquoi nous abandonner ? »

Comme la Vierge à l’Annonciation : « Comment cela se fera-t-il ? »

Peut-être – sans rien perdre de notre volonté de mettre en œuvre tous les moyens humains qui nous sont proposés – peut-être nous suffirait-il alors de prier – notre chapelet dans les mains – d’écouter, d’adorer pour permettre que résonne au cœur de nos vies la Parole, la présence, la voix de l’Esprit – seul capable de nous faire murmurer : « Père je remets tout en tes mains. »

Comme la Vierge à l’Annonciation : « Qu’il me soit fait selon ta Parole. »

Alors nous pourrions accueillir dans toute la Puissance, dans toute la Tendresse de l’Esprit du Christ ressuscité la Bonne Nouvelle – source de l’invincible Espérance.

« Rien n’est impossible à Dieu, car il nous aime. Dieu est Amour ! »

Guy-Marie Riobé
Evêque d’Orléans (1963 – 1978)

Ce texte figure également dans
« La passion de l’Evangile. Ecrits et paroles »
Ed. du Cerf (1978) p. 133-136